Poésie
« Le monde est rempli de poésies qui n’ont pas encore été écrites ! »
Raúl González Tuñón
Poète argentin, ami de LLorca et Néruda,
parfois associé au travail de Borgès,
ses poèmes ont été mis en musique
et chantés par le Cuarteto Cedrón.
Le tango est bien sûr, musique et danse. Mais les paroles du tango !
En Argentine, elles ont été longtemps considérées populaires, et donc laissées en marge de la vie littéraire. En effet, la première langue du tango est celle des quartiers où il est né, du mélange d’immigration et du monde rural argentin. Les paroliers utilisent parfois (souvent) des mots considérés comme grossiers ou équivoques, à double sens. Ils utilisent le Lunfardo (argot populaire), le langage de la « zone ».
Dans ce contexte, les principaux thèmes du tango-chanson (tango cancion) renvoient à la tristesse, la nostalgie de ce qui est perdu, l’abandon, la trahison. La mère, la guitare et le bandonéon sont souvent évoqués également. Le tango est alors plutôt une lamentation mélancolique.
Quand le tango commence à être adopté dans les salons chics de Buenos Aires, les textes évoluent, se font plus policés. Cette transition fut assurée par Pascual Contursi (auteur de Mi noche triste et La cumparsita). Parfois considéré comme « le créateur » du tango chanson, Contursi change l’esprit des paroles de tango, il raconte une histoire.
A sa suite d’autres paroliers feront évoluer le tango-chanson lui donnant de nouvelles formes liées à leur époque. Parmi ceux-ci ont peut distinguer quelques grands noms :
- Enrique Santos Discépolo (auteur de Yira Yira, Cambalache ,El choclo) le parolier de la décennie » infâme » (1933-1943), marquée par l’autoritarisme militaire et un statut de dépendance économique envers le Royaume-Uni. Les textes de Discépolo avec une vision sceptique du monde constituent une critique sociale au regard de la crise économique comme de la crise morale de cette époque. C’est l’auteur de la maxime « le tango est une pensée triste qui se danse », souvent attribuée à bien d’autres.
- Catulo Castillo (La ultima corda – Tinta roja) est parfois considéré comme le peintre du Buenos Aires urbain. Il traite aussi de la nostalgie de ce qui fut perdu, mais ce qui le distingue, c’est que dans ses textes la douleur est le prétexte à la recherche de l’essence même des choses
- Homero Manzi (Malena, Sur, Milonga sentimental, Barrio de tango, El ultimo organito) Le poète romantique et profond du Tango qui dépeint de grandes fresques des quartiers de Buenos Aires et de ses personnalités. C’est aussi un personnage complexe, partisan d’idées avancées en matière sociale. Il a touché à la politique, au journalisme, à la musique.
- Horacio Ferrer, après avoir dirigé la revue Tangueando, a été rendu célèbre avec son œuvre Romancero canyengue (1967). Il utilise des images inspirées du surréalisme français, des sonorités provocantes et innovantes et une langue inventive. Ami d’Astor Piazzola, ils composent ensemble musique et paroles. Le duo va remettre en cause la forme traditionnelle du tango, intégrant dans un même tango différentes formes rythmiques (par exemple, valse et tango).
Dans le cadre du festival « Cinélatino Rencontres de Toulouse », Tangueando a présenté en 2012 un documentaire consacré à « Horacio Ferrer, le poète du tango ».
(voir la rubrique Tango et Cinéma – Les films Documentaires)
On pourra retrouver tous ces auteurs (et bien d’autres) dans le recueil « Les poètes du tango« . On y reconnaitra les tangos entendus dans les bals milongas.
« Les poètes du tango » – Anthologie, présentée par Henry Deluy et Saul Yurkievich – Ed. Poésie-Gallimard (2006)
Un ensemble de textes de tango, hanté par les accents nostalgiques d’un monde proche ou d’une jeunesse évanouie mais aussi capable de revendications et d’appels.
L’idée des deux auteurs, Saùl Yurkievich, un poète d’origine argentine et Henri Deluy, était de permettre aux lecteurs d’entrer dans l’univers de la poésie du tango à travers des textes caractéristiques et variés, écrits entre 1890 et 1980. Certains d’entre eux sont extraits de l’anthologie intitulée, Tango, éditée chez P.O.L. en 1988, d’autres sont inédits.
Pour en savoir plus sur les paroliers du tango on pourra également se reporter au magazine La Salida (voir notamment les dossiers de la revue n°47 et 48)
Des écrivains ont vu leur poésie mise en musique par des compositeurs de tango. Souvent moins dansantes, ces œuvres sont tout aussi intéressantes. Parmi celles-ci, on citera notamment :
- Jorge Luis Borges est un des écrivains majeurs de la littérature du 20ème siècle. Il privilégie l’aspect fantastique du texte poétique, qui le fait parfois considéré comme l’une des influences majeures du « réalisme magique » latino-américain (ex : Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez).
Outre ses essais et nouvelles, Borges a également écrit des poèmes dont certains sont inspirés par le tango ou plus exactement les milongas. On peut retrouver ainsi des milongas dans les deux recueils de poèmes, « Pour les six cordes » et « Les conjurés ». Certaines de ces milongas ont été mises en musique par Annibal Troilo et surtout par Astor Piazzolla. A signaler le disque « El Tango », fruit de la collaboration entre Borges et Piazzolla avec le chant d’Edmundo Rivero.
Pour en savoir plus : Le Magazine Littéraire dans son numéro de juin 2012, a publié un dossier sur Jorge Luis BORGES avec notamment un article de Laura Alcoba » à la recherche du tango perdu « .
D’autres poètes ont également été mis en musique par des compositeurs de tango sans avoir toujours écrit des tangos. C’est par exemple le cas de Julio Cortazar (Crépuscule d’automne) avec Piazzolla ou Edgardo Canton, ou encore celui de Raúl González Tuñón, ami de LLorca et Néruda, parfois associé au travail de Borgès. Ses poèmes ont été mis en musique et chantés par le Cuarteto Cedrón.
Justement Edgardo Canton qui a mis en musique Cortazar est aussi l’auteur d’un essai sur la poésie du tango. Directeur artistique des « Trottoirs de Buenos Aires ». Lieu mythique de la culture Argentine à Paris de 1981 à 1990, les Trottoirs de Buenos Aires ont largement contribué à relancer l’intérêt pour le tango en France puis dans le monde entier.
« Le tango, une pure invention – essai sur la poésie du tango-chanson » – Edgardo Canton – Ed. Oxus à Escalquens (2007)
Le tango fut d’abord une danse canaille, libertine et effrontée, un défoulement dont la pratique faisait tomber certains tabous, avant de devenir une école de vie. L’auteur est porté à croire que le tango serait le dépositaire d’une tradition héritée des troubadours provençaux du XIIe siècle, des mystiques chrétiens espagnols ou des poètes soufis persans.
Enfin, les écrits des poètes du tango sont aussi parfois associés au travail de graphistes.
« Presagio » – Horacio Ferrer (1990) : Un recueil de sonnets, Plaquette avec les peintures pour aquarelle de Josefina Robirosa
« Tango – Peintures du monde » – Yves Jouan et Josep Grau-Garriga – Ed. Æncrages & Co (2006)
Par des vers courts et décrochés, ce sont des pas de danse qui rythment la poésie de cet ouvrage, tant dans la forme visuelle que dans le thème. Les poèmes d’Yves Jouan dialoguent avec des reproductions d’œuvres de Josep Grau-Garriga. Peintre catalan et créateur de tapisseries (élève de Jean Lurçat), Josep Grau-Garriga a choisi avec Yves Jouan les dessins de ce livre (54 pages dont 5 d’illustrations).
Voir aussi la rubrique Tango et Peinture (en chantier)